JANITSCHEK, Hubert (1846-1893)
Historien de l'art
Hubert Janitschek restait le seul enseignant d'histoire de l'art à l'université de Strasbourg jusqu'au moment où il accepta, à Pâques 1892, la chaire de Leipzig. Il venait de Vienne où il était à la fois Custos au musée et Privatdozent à l'université. Son futur disciple à Strasbourg, Aby Warburg, le décrivait ainsi : “petit, maigre, un visage assez quelconque, des manières vivaces”. Le professeur manquait peut-être de brillant, mais l'Institut d'histoire de l'Art pouvait alors emménager en 1884 dans le tout nouveau Kollegiengebäude et offrait alors, toujours selon Warburg, des “moyens incomparables, nombreux et bons, de sorte que c'était un véritable plaisir que d'y travailler”.
Janitschek s'était fait un nom par l'édition critique des petits écrits de Léon-Battista Alberti (1877) ainsi que par une large contribution à la monumentale Histoire de l'art de Richard Dohme (1877-1879), notamment avec des études sur Andrea del Sarto, Giovanni Bellini, Tintoret et les peintres bolonais. Dans ses cours à Strasbourg il abordait pratiquement tout l'art occidental et l'art byzantin de leurs origines au 19e siècle. En 1885, alors que l'art baroque commençait tout juste à perdre son image négative d'art barbare et décadent, il faisait un cours de 4 heures sur l'architecture depuis la Renaissance jusqu'à nos jours qui englobait aussi bien le Baroque que le Rococo. La peinture française des 17e et 19e siècles faisait également l'objet de l'un de ses cours spécialisés. En revanche, dans ses séminaires, il étudiait plutôt des textes (Théophile, Alberti, Condivi, Vasari, Van Mander). Janitschek, est-il besoin de le rappeler, est l'un des premiers historiens d'art à s'appuyer sur une profonde connaissance des textes anciens qui lui permettait d'élargir la méthode philologique en ouvrant de nouvelles voies d'interprétation.
Comme on l'a déjà vu, il eut également le privilège d'emménager dans le nouveau bâtiment de l'université, édifié par Otto Warth dans les formes de la Haute Renaissance. Les nouveaux locaux mis à la disposition des historiens d'art ne comportaient pas moins de 5 salles de cours, de travail, de bibliothèque, de bureau de professeur et de musée, occupant au premier étage toute la longueur de l'aile Est en façade. C'est aussi en son temps, en 1889, que Wilhelm Bode, le directeur du musée de Berlin, fut chargé de reconstituer une collection de peintures pour la ville de Strasbourg pour remplacer celle qui avait brûlé en 1871 lors du bombardement. Au bout d'une année seulement étaient réunis, par achat et par dons, 68 tableaux dont Janitschek publiait dès 1890 un premier catalogue.
Il fut aussi le premier conservateur, exerçant ainsi une charge à laquelle l'avait préparé sa fonction à Vienne au musée autrichien. Comme le Palais Rohan, destiné à accueillir le musée, était en cours de restauration et d'aménagement, les oeuvres furent provisoirement exposées dans une des salles de l'Institut. C'était une situation unique pour les étudiants : de la salle de travail, ils n'avaient qu'une porte à ouvrir pour se trouver environnés de tableaux attribués à des maîtres comme Giotto, Crivelli, Paris Bordone ou encore Simon Marmion. Les plus grandes oeuvres durent cependant trouver place dans le couloir à proximité de l'Institut. Ce musée provisoire était ouvert au public. On ne peut guère aujourd'hui imaginer facilement l'état ancien de ces lieux. Leurs murs qui servaient de fond aux tableaux, comme d'ailleurs tous les espaces de circulation du Palais, étaient peints en un rouge pompéien dont on a trouvé quelques traces lors de récents travaux. Les restaurateurs d'aujourd'hui n'ont cependant pas eu la même audace que les créateurs du 19e siècle et n'ont pas osé restituer cette couleur.
Janitschek a également bénéficié d'une gloire posthume par son rôle de Doktorvater de l'un de ses étudiants devenu depuis célèbre : Aby Warburg (Hambourg 1866-1929), le fondateur de la bibliothèque qui porte son nom et qui devait être transférée, en 1933, de Hambourg à Londres où elle offre toujours des ressources inépuisables aux historiens d'Art, surtout pour les recherches iconographiques. Warburg était immatriculé à Strasbourg d'octobre 1889 au printemps 1892 et soutint en mars de cette dernière année sa thèse sur Botticelli et l'Antiquité.
Source : CHATELET-LANGE, Liliane, « L'institut d'Histoire de l'Art de Strasbourg », dans Formes, Bulletin de l'Institut d'Histoire de l'Art de Strasbourg, n° 7, 1989, pp. 19-21.